3. L'heure du crime
Maurice CAREME
(Wavre 1899 - Anderlecht 1978)
Minuit. Voici l'heure du crime. Sortant d'une chambre voisine, Un homme surgit dans le noir.
S'approche de l'armoire Sur la pointe des pieds Et saisit un couteau Puis, masquant ses yeux de fouine Avec un pan de son manteau, Il pénètre dans la cuisine Et, d'un seul coup, comme un bourreau Avant que ne crie la victime, Ouvre le coeur d'un artichaut. |
© Fondation Maurice Carême
Il l'a tirée De sa poche percée, L'a mise sous ses yeux ; Et l'a bien regardée En disant : " Malheureux ! " Il l'a soufflée De sa bouche humectée ; Il avait presque peur D'une horrible pensée Qui vint le prendre au coeur. Il l'a mouillée D'une larme gelée Qui fondit par hasard ; Sa chambre était trouée Encor plus qu'un bazar. Il l'a frottée Ne l'a pas réchauffée A peine il la sentait ; Car, par le froid pincée, Elle se retirait. Il l'a pesée Comme on pèse une idée, En l'appuyant sur l'air. Puis il l'a mesurée Avec du fil de fer. Il l'a touchée De sa lèvre ridée. - D'un frénétique effroi Elle s'est écriée : Adieu, embrasse-moi ! Il l'a baisée, Et après l'a croisée Sur l'horloge du corps, Qui rendait, mal montée, De mats et lourds accords. Il l'a palpée D'une main décidée A la faire mourir. - - Oui, c'est une bouchée Dont on peut se nourrir. Il l'a pliée, Il l'a cassée, Il l'a placée, Il l'a coupée ; Il l'a lavée, Il l'a portée, Il l'a grillée, Il l'a mangée. |
Quand il n'était pas grand on lui avait dit : Si tu as faim, mange une de tes mains. |
Texte intégral ici
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